Les chapitres 3,4,5…

Bonjour les amis,

Comme promis, voici les 3 chapitres suivants… N’hésitez pas à partager et surtout à me faire part de vos commentaires pour que je puisse m’améliorer.

                                                                  3. What a day! [Quelle journée!]

03 octobre 2008

A terrible day ! [Une horrible journée!]
Je descendais la rue Pierre Cadet à grands pas, afin de ne pas être une fois de plus en retard au lycée. La lumière était douce, les rayons du soleil caressaient mon visage, mais encore une fois, j’ai été perturbée par l’attitude de certains hommes dans leur voiture qui n’avaient aucun scrupule à détaillerles passantes sur le trottoir, quand ils ne sifflaient pas ou ne klaxonnaient pas. Aussi, ai-je tenté de dissimuler mon visage derrière mes cheveux, pour ne pas avoir à croiser leur regard.

Quand je suis arrivée, des lycéens s’agglutinaient déjà devant le portillon du haut. Ils fumaient des cigarettes, l’un d’eux grattait une guitare. Je ne pouvais m’habituer à voir les filles venir au bahut en short ou en mini-jupe, révélant ainsi leur peau bronzée et leurs jambes musclées, et ce, quelle que soit la saison. C’était inimaginable là d’où je venais!

J’ai rapidement longé la cour en direction du bâtiment A où j’ai retrouvé ma classe. J’étais à bout de souffle d’avoir grimpé les escaliers quatre à quatre.
— Bonjour ! Le cours d’aujourd’hui sera différent, a dit Mr Duchemann. Nous accueillons ce matin, Mlle Hoarau qui va aborder avec nous un sujet qui, je suis sûr, saura capter toute votre attention.
— Bonjour ! Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis l’infirmière de votre établissement et je suis venue vous parler clairement et sans détour de quelque chose qui concerne la plupart d’entre vous: la sexualité. Je vous préviens, je ne serai pas la seule à prendre la parole. J’attends que vous participiez au débat, en toute franchise, sans honte ni vulgarité. N’hésitez pas à poser des questions ou à partager votre expérience.

Derrière moi, j’ai pu entendre les mecs faire des commentaires déplacés sur l’infirmière.
— Hé, a chuchoté Christophe, mais c’est qu’elle est hot notre infirmière! Je sens que je vais être souvent malade pendant les cours, cette année. J’te parie que 5 secondes seule avec moi, elle tient pas et me saute dessus!
— Gros mytho, va! Comment tu te la joues? Mais, fais gaffe, y a de la concurrence! Regarde le prof comment il bave sur elle! T’as aucune chance, mec!
— Chut ! ai-je sifflé pour les faire taire. Leur manque de respect vis-à-vis de cette femme m’horripilait.

Puis Mlle Hoarau a engagé la conversation avec des statistiques qui m’ont fait froid dans le dos:


— Ces dernières années, le nombre de jeunes ayant des relations sexuelles avant leur majorité a quadruplé. Ce ne serait pas tant un problème si les grossesses non désirées et les maladies sexuellement transmissibles ne s’étaient pas aussi multipliées. Mon but ici est de vous sensibiliser à cela et de vous inciter à vous protéger, car sachez-le: pour 20 minutes de plaisir non protégé que vous pourriez avoir, c’est toute votre vie qui peut basculer. Voyez vous-mêmes si ça vaut vraiment le coup!
— 20 minutes, Mademoiselle? C’est que vous ne m’avez pas encore connu! a lancé l’autre prétentieux dont la remarque a fait rire tout le monde, même moi.
— Très drôle Mr Dijoux, mais entre nous, cela m’étonnerait que Mlle Hoarau choisissent ses amants au berceau, l’a corrigé notre professeur principal avec humour.


Cassé!


— Allons, un peu de sérieux! Revenons au sujet, s’il vous plaît, a enchaîné l’infirmière, avec d’autres chiffres alarmants: 74% de jeunes interrogés pour une étude en 2007 ont avoué avoir déjà consulté des sites pornographiques hard. Les études menées à La Réunion montre que la majorité des hommes auraient leur premier rapport vers 17 ans contre 18 ans chez les femmes. En général, les hommes déclarent avoir une moyenne de 13 partenaires sexuelles contre 3 pour les femmes. Selon une autre étude menée auprès de 145 jeunes filles, La Réunion est le 2ème département pour les grossesses précoces et le troisième en termes d’IVG chez les moins de 18 ans. Encore une fois, ce ne sont que des chiffres, mais la réalité est souvent bien pire. 2,7 millions de personnes ont été infectées par le VIH dans le monde entier. Savez- vous que peu de jeunes utilisent un moyen de contraception, alors qu’il en existe plusieurs à leur disposition? Pourquoi à votre avis? J’ai vu des jeunes filles venir me consulter pour des prétendus maux de ventre et m’avouer par la suite, qu’elles étaient très inquiètes parce qu’elles avaient eu des rapports non protégés… On va passer à la pratique maintenant, vous allez me montrer si vous savez utiliser un préservatif.
— Bien sûr, mademoiselle! J’suis un pro, j’en enfile tous les jours des capotes et même, plusieurs fois par jour, s’est encore vanté Christophe.
— Ouah, l’autre! Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il le fait tout seul! s’est moqué Stéphane, un de ses meilleurs potes.
— Et toi, jusqu’à aujourd’hui tu croyais que c’était juste des bombes à eau!! a répliqué Christophe visiblement vexé. Mais vous devriez le montrer à Mussard, mademoiselle; elle en aura besoin bientôt, à moins qu’elle préfère un cours particulier, je peux lui en donner, moi, quand elle veut…


A ce moment-là, j’ai essayé de me convaincre que l’ignorance était le plus grand des mépris et j’ai feint l’indifférence, mais au fond de moi, je bouillais. Après seulement un mois et demi passé dans ce lycée, on m’avait déjà cataloguée comme la fille coincée, toujours vierge à 17 ans.
Qu’en savent-ils, d’abord, que je suis encore vierge? C’est quand même pas écrit sur mon front! Ça ne regarde que moi, c’est mon intimité. Et puis, en quoi est-ce une tare? Pourquoi devrais-je déjà avoir des relations sexuelles? Pour faire comme tout le monde? Et après, qu’est-ce que ça m’apporterait de plus? Les autres m’accepteraient, parce que je couche? Alors là, non merci! Qu’ils se la gardent, leur acceptation. Je préfère encore rester seule et être moi-même, quitte à passer pour une ringarde marginale, plutôt que d’intégrer la clique en faisant ce qu’ils attendent de moi sans me préoccuper de savoir si je suis prête ou pas. Je veux pouvoir choisir quand et surtout qui.


— Justement, Mr Dijoux! Puisque vous êtes un si grand expert, faites-nous profiter de votre expérience, a déclaré Mr Duchemman en lui remettant le préservatif emballé et le double décimètre sur lequel on devait le dérouler.
— Bien fait ! s’est exclamée Julie.
Mr Duchemman m’a fait un clin d’oeil compatissant, j’étais toute rouge. Cet idiot de Christophe m’avait affichée devant toute la classe. Mlle Hoarau a ensuite demandé à notre professeur de distribuer deux préservatifs à chacun de nous. Embarrassée, j’ai promptement rangé les miens dans ma trousse sans réfléchir.
— Certains jeunes, a repris l’infirmière, ont confié avoir eu des rapports sexuels sous la pression des autres : ami(e)s, petit(e) ami(e)…
— Sachez, l’a interrompue Mr Duchemman, que personne n’a le droit de faire pression sur votre vie sexuelle. C’est VOTRE choix. Qui d’autre que vous, peut savoir si vous êtes prêt ou prête à avoir un rapport?
J’ai été soulagée d’entendre qu’au moins quelqu’un d’autre pensait comme moi. Je me suis, d’un coup, sentie moins seule.
— Vous pouvez aussi demander conseil à votre médecin traitant ou aux sages-femmes du planning familial, ils sont tenus au secret professionnel et vont répondre à vos questions sans vous juger. Beaucoup de jeunes de votre âge font les malins, mais en réalité, ils sont ignorants des pratiques sexuelles et ça crée des catastrophes. Si je vous dis: «fellation», «sodomie», «levrette», ça vous évoque quoi? Combien de filles ont pleuré dans mon cabinet à cause de positions que leur copain avait vu dans on ne sait quel film ou livre et leur avaient demandées de reproduire, alors qu’elles n’en avaient ni la connaissance ni l’envie. Elles ont été brisées et traumatisées par ces rapports. Que dire encore de ces jeunes filles qui se prostituent au collège? Vous avez bien entendu, accepter de faire une fellation dans les toilettes pour de l’argent ou un téléphone portable, c’est de la prostitution et mon rôle est de vous informer, afin de vous protéger. Après, c’est votre corps et je ne peux pas vous interdire d’en disposer selon vos désirs, mais soyez-en certains: chaque décision entraîne des conséquences et l’on ne ressort pas indemne de ces comportements à risques.
Après quelques minutes de silence, comme personne n’osait prendre la parole, l’infirmière nous a proposé d’écrire nos questions sur un morceau de papier anonyme et de les glisser dans une boîte. C’est Mr Duchemman qui a été chargé de tirer les questions au sort.

Question n°1: «Que pensez-vous de la pornographie?» Quelqu’un veut répondre?
A nouveau, le silence total.
— Personne?! Bien, je vais répondre, a déclaré notre professeur. Je pense que la pornographie déforme la réalité et que ceux qui les regardent se privent d’avoir des relations sexuelles riches. Les jeunes s’imaginent que la sexualité est telle qu’on la voit dans ces vidéos, ils font leur propre mise en scène et filment avec leur téléphone portable. Mais la sexualité pornographique est violente et animale, elle n’a rien avoir avec l’amour que sont censées faire les 2 personnes. Et quand, dans la vraie vie, vous n’arrivez pas à être aussi performant que tel ou tel acteur ou actrice, qui je vous rappelle, joue un rôle, vous complexez et la frustration engendrée peut parfois entraîner des déviances, a conclu Mr Duchemman.
— Vous parlez pour vous, là monsieur?
— Je parle pour qui se reconnaîtra dans mes propos.
— Moi, j’trouve ça dégradant, ai-je osé m’exprimer.
— Qu’est-ce que t’y connais? a sifflé Alice, sans me laisser une chance de lui répondre. Son opinion sur moi était déjà toute faite, à quoi bon essayer de lui démontrer qu’elle avait tort.
Question n°2 : est-ce que les MST ou IST sont transmissibles par le sexe oral?
— Oui, dans certaines conditions et selon les microbes, la syphilis par exemple peut se transmettre de cette façon, le virus de l’herpès aussi.
Question n°3 : est-ce ringard d’attendre le mariage à notre époque?
— Carrément, a répliqué Christophe.
— Moi, j’trouve ça romantique!
— Tu n’es même plus vierge, Julie! Tu peux oublier, l’a malmenée Alice.
— Je vous rappelle que nous ne sommes pas là pour nous lancer des méchancetés, a rétorqué notre professeur. Je vous demande de respecter l’opinion des autres. Pour ma part, attendre le mariage, si les deux personnes sont d’accord, je trouve que c’est respecter l’autre et se respecter soi-même.
Le débat a continué ainsi pendant le reste de la matinée. Ensuite, Mlle Hoarau nous a donné rendez-vous à l’infirmerie, chacun à notre tour, dans l’après-midi. Rendez-vous qui m’a paru interminable avec une série de questions sur mon poids, mes règles, mon activité sexuelle.
Comme si la journée n’avait pas été suffisamment chargée en émotions, mon père n’est pas venu me chercher et j’ai dû rentrer à pieds… What a day !!! Happily, it was over now. [Quelle journée!!! Heureusement qu’elle était maintenant terminée.]


04 octobre 2008

— Papa, faut aller faire les courses, y a plus rien à manger.
— Je te dépose, tu sais très bien que je déteste faire les courses.
— J’peux rester l’après-midi là-bas avec Ophélie?
— Oui, comme tu veux.
Ça arrangeait bien papa de me déléguer la «corvée» comme il disait, alors que faire les courses était une vraie partie de plaisir pour Ophélie et moi; cela nous permettait de sortir de nos quatre murs et de voir du monde ailleurs qu’à l’école.
C’était un de ces samedis où le centre commercial était bondé. Ma liste à la main et Ophélie qui marchait à ma droite, je me sentais libre comme une femme adulte faisant ses emplettes. La galerie n’était pas grande, mais elle offrait tout à portée de main : une parfumerie, une pharmacie, quelques boutiques de prêt-à-porter et de chaussures, un point chaud, un distributeur de billets et même un magasin de bricolage.

— Et si on allait boire quelque chose? ai-je proposé à ma sœur.
— Ouiii! Là-bas Camille, viens!
— C’est comme si on était grandes! Oh non, notre table est déjà prise!

Depuis que nous avons emménagé à La Réunion, j’ai essayé de nous créer de nouvelles habitudes: ainsi, un samedi sur deux, notre sortie au supermarché commençait par une pause chocolat chaud à la table du fond (pour ne pas changer). Ce jour-là, il a malheureusement fallu nous installer autre part et la table du milieu, celle où tout le monde pouvait nous voir, était la seule disponible. Je détestais ça.
Dans la vitre en face de moi, j’ai vu mon reflet: une jeune fille au regard triste, les cheveux détachés et un peu sauvages, des yeux marron-vert, des tâches de rousseur, un tee-shirt blanc basique et un jean délavé. «Rien d’extraordinaire», ai-je pensé. Maman, elle, savait mieux se mettre en valeur.

— Tu es belle, a marmonné Ophélie comme si elle avait lu dans mes pensées.
— Mouais ! lui ai-je répondu, peu convaincue.
— Tu es belle, je te dis! La plus belle des sœurs, a-t-elle ajouté dans un grand sourire.
Qu’aurais-je fait sans elle? Du haut de ses six ans, elle savait tant de fois mettre du baume sur mon coeur à travers ses paroles gentilles.
Après avoir commandé nos chocolats chauds et notre part de tarte à la banane, nous nous sommes amusées à observer les gens et à dire non seulement ce que nous aimions sur leur personne mais aussi ce que nous trouvions bizarre.
— Oh, regarde! Lui, il a une drôle de coiffure.
— C’est clair. Hé! tu vois la fille devant nous? Je kiffe trop ses savates! [savates=tongs]
— Camille, ce n’est pas ton prof là-bas?
— Non, pas lui!
— T’inquiète, il ne nous a pas vues. Panique pas.


Mr Duchemman était jeune -peut-être 28 ou 30 ans- blond aux yeux noisettes, avec une certaine classe, je devais l’admettre. Attablé un peu plus loin, il portait une chemise marron avec un jean et des chaussures noires. Il lisait un livre, une tasse de café à la main. Sans m’en rendre compte j’ai dû le regarder trop longtemps, car il a levé la tête et m’a saluée de la main. Je lui ai souri et j’ai rapidement détourné mes yeux de sa personne.


— Tu es toute rouge, a chuchoté Ophélie.
Notre boisson terminée, nous avons filé faire les courses. J’ai laissé Ophélie pousser le chariot qui était un peu haut pour elle, mais elle était tellement contente de faire comme les grands.
— Alors, nous avons besoin de lait, de chocolat en poudre, de beurre, de biscuits, d’oeufs, de parmesan, de Brie, de jus de fruits, de pâtes, de haricots verts, de thon en boîte…
— N’oublie pas les yaourts brassés et le café pour papa!
— T’as raison, Ophélie! Je ne les avais pas notés sur ma liste. Merci, lui ai-je dit en lui faisant un clin d’oeil. Elle s’est mise à glousser, fière qu’elle était d’avoir pu m’être utile.
— Je vais chercher le beurre et les yaourts, je te confie le caddy. Attends-moi là ou on va nous piquer la place.
— OK!
Je l’ai retrouvée à la caisse quelques minutes après.
— Tu as été sage?
— Comme une image! Camille, ce soir, on fait un pique-nique maison?
— Bonne idée! Macaroni cheese, ça te va?
— Ça me va. On se mettra du vernis sur les ongles aussi, et il nous faut un film. Camille, je crois que c’est ton prof’ derrière nous. Il m’a fait coucou.
— Ophélie arrête!
— Je n’ai rien fait, il m’a juste dit bonjour.


J’ai vite payé et remis les courses dans le chariot avant de me diriger vers la sortie. Cet après-midi au centre commercial était censé me détendre et me permettre de couper avec ma vie morose de lycéenne. Au lieu de cela, j’ai rencontré le prof qui était tout le temps sur mon dos et Alice qui passait son temps d’habitude à me charrier, n’a rien dit en me croisant dans les rayons mais son regard dédaigneux sur moi a suffit pour que je me sente minable. Un vrai désastre! Pour couronner le tout, papa ne répondait pas à son portable, il nous a sans doute oubliées et je n’avais pas assez d’argent pour prendre le bus ou le taxi avec Ophélie. J’ai commencé à angoisser et mes nerfs ont lâché. Debout devant le centre commercial, près des chariots, les sacs à terre, les bras ballants, j’ai craqué. Ophélie a enroulé ses petits bras autour de moi.


— Pleure-pas! On va attendre, il va arriver. Je t’aime, ma soeur chérie!
— Je t’aime aussi. Excuse-moi. Ça va aller, je suis juste fatiguée.
Que faire? Il était maintenant 19 heures et toujours pas de papa à l’horizon. Cela faisait bien une heure que nous l’attendions dehors avec Ophélie.
— Un souci, mademoiselle Mussard? a demandé Mr Duchemann en s’approchant.
— Oui, a répondu Ophélie avant que j’en ai eu le temps. Papa nous a oubliées, il ne répond pas au téléphone et on ne peut pas rentrer chez nous.
— Non, ai-je menti, je pense que papa a eu une urgence à l’hôpital et n’a pas pu venir nous chercher. Nous allons l’attendre.
— Ecoutez, il commence à se faire tard et vous ne savez pas à quelle heure votre père va arriver. Je vais vous ramener.
— C’est gentil, mais ne vous inquiétez pas. On va prendre le taxi, c’est mieux.
— Mais Camille, t’as dit qu’on n’avait pas assez d’argent! s’est interposée Ophélie.
— D’accord, voilà ce qu’on va faire: je vais vous payer le taxi, venez!
— Merci beaucoup, ai-je répondu, gênée mais le coeur rempli de gratitude.


Serviable et prévenant, Mr Duchemann a porté nos sacs jusqu’au taxi collectif, il s’est assuré que nous n’étions pas les seules filles à bord puis il s’est arrangé avec le chauffeur pour qu’il nous dépose les premières. Malgré moi, je me suis sentie humiliée. J’avais bien réussi à me débrouiller toute seule avant ce jour-là. Et maintenant, le prof allait-il changer d’attitude envers moi en cours? Allait-il me prendre en pitié ou chercher à en savoir plus sur ma vie? Je n’en avais pas envie. Cela me faisait même peur.
Quand j’ai poussé la porte de l’appartement, papa était là, couché dans le canapé, ivre-mort, la bouteille de vin encore à la main. Il n’y aurait pas de pique-nique maison pour nous ce soir…

                                                                                   4. Adaptations

plage
La Réunion était une réelle découverte pour nous. Quand nous étions en métropole, papa nous en avait très peu parlé, mais maman m’avait confié que c’était l’un de ses endroits préférés au monde. Forte de cette révélation, j’ai cherché à me rapprocher d’elle en apprenant à mieux connaître l’île.

Très tôt ce samedi matin, papa avait pris son poste au CHU de Saint-Pierre. Le service de chirurgie orthopédique était débordé, avait-il laissé entendre et il ne rentrerait pas avant 19h00. Avant de partir, il nous a laissé un peu d’argent de poche sur la table de la cuisine, au cas où nous voudrions sortir. Le ciel était bleu et sans nuage à l’horizon. Ophélie et moi avons alors enfilé nos maillots de bain, nos tenues de plage et nos savates. Ainsi vêtues et nos serviettes de plage dans notre sac à dos, nous avons pris la direction de la gare routière du Tampon.

Comme nous étions à pieds, nous avons pris le temps d’observer les alentours. En suivant la route nationale, nous sommes passées devant le bureau de tabac du 12ème KM, puis le marchand de légumes et le centre médical. Les cours étaient fleuries et bien entretenues. Ensuite, au rond-point, nous avons descendu la rue du lycée, qui m’a paru bien vide.

Il nous a fallu une bonne vingtaine de minutes pour arriver à la gare près du marché couvert. Nous avions déjà soif à cause de la chaleur. Notre car est enfin arrivé. Des jeunes se sont rués à l’intérieur, pour être sûrs d’avoir les places du fond. Ophélie et moi, nous nous sommes assises devant et c’est en silence que nous avons regardé les rues défiler devant nos yeux ébahis. Les paysages n’avaient rien à voir avec ce qu’on voyait en France, ils étaient beaucoup plus colorés et variés. Certaines maisons étaient typiquement créoles avec leur dentelle blanche ornant les toitures, d’autres affichaient une architecture plus européenne.

Le car jaune est passé de quartier en quartier, s’arrêtant à plusieurs reprises pour prendre davantage de passagers. Enfin, nous voilà sur la 4 voies! J’aimais cette portion de route bordée de flamboyants et de jacarandas au premier plan et de champs de canne à sucre à perte de vue à l’arrière-plan. Cette perspective de verdure qui s’étendait pour se perdre dans le bleu de la mer et du ciel, était à couper le souffle.

— Camille, je crois qu’on est arrivé, a chuchoté Ophélie, me tirant subitement de ma rêverie.
— Ah oui, merci. On descend. Plage de l’Etang-Salé, nous voici!

Marcher nous avait creusé l’estomac et l’heure du déjeuner étant proche, nous nous sommes d’abord arrêtées à un camion-bar pour nous acheter des sandwichs.

— Je ne sais pas quoi prendre, a murmuré Ophélie.
— Maman disait qu’elle adorait les bouchons au combava, je vais en prendre une barquette pour goûter et aussi le fameux sandwich avec les frites dedans.
— Super!!!

Le snack ambulant placé sous un arbre -un filao je crois- n’était pas très grand. Il y avait néanmoins quelques chaises et des tables pour manger tranquillement à l’ombre d’un store. Le cuistot a pris ma commande:

— Un américain, ai-je demandé mal assurée, craignant de me tromper et d’être ridiculisée.
— Bien, avec quelle sauce s’il vous plaît?
— Euh… sans sauce, c’est possible?
— Oui, c’est possible, mais ce sera un peu sec. Je vous conseille, si vous le permettez, de le tester avec du Ketchup. J’en mettrai un petit peu pour vous, a-t-il proposé gentiment.
— D’accord! Va pour du Ketchup! Pourrais-je aussi avoir des bouchons au Combava, 5, avec un peu de sauce soja et une grande bouteille d’eau minérale s’il vous plaît? Merci.
— Ça marche! Je vous appelle, quand c’est prêt.
— Merci.

Je lui ai tendu la monnaie et avec Ophélie, nous nous sommes installées à une table. L’air de rien, nous étions bien au soleil, à prendre du bon temps. La commande est arrivée. Le sandwich américain vanté par maman était succulent, bien que très calorique. Il me faudrait nager longtemps pour éliminer tout ça.
— Si on allait voir cette plage et nager un peu? ai-je proposé.
— Ben oui! On est là pour ça, non?
— Yes!
— Camille, tu as vu la couleur du sable? C’est cool!

En effet, le sable était étrangement noir, scintillant et surtout brûlant. Impossible d’y marcher pieds nus. Nous avons installé nos paréos et serviettes sur la bande de sable séparant un bassin où l’eau était calme et une zone où la mer était plus agitée. Pas très à l’aise de découvrir mon corps encore marqué par quelques bleus, j’ai décidé de garder mon tee-shirt et de n’enlever que mon short. J’ai étalé la crème solaire sur le visage, le dos et les bras d’Ophélie pour la protéger, elle a fait pareil pour moi, car à côté des autres personnes présentes sur cette plage, nous étions blanches comme neige.

— Tu ne veux pas venir avec moi, a supplié Ophélie.
— Non, pas pour l’instant. Vas-y, je te surveille. Mais pas loin, hein? Tu restes là où c’est calme, ok?
— Je sais nager de toute façon.
— C’est vrai, mais ce n’est pas une raison. Fais attention.
— Oui, maman!
— Comment tu m’as appelée?
— Pardon, s’est excusée ma petite sœur avant de courir dans la mer.

Je ne pouvais pas lui en vouloir, après tout, c’est moi qui m’occupais d’elle depuis que maman est morte.

Devant moi était allongé un trio de filles. J’ai reconnu l’une d’elles qui était aussi à Roland Garros, mais en BTS. Elle affichait fièrement ses seins nus. Nul besoin de préciser que le regard des garçons se posait souvent sur elle.
Quelques minutes plus tard, Ophélie est sortie de l’eau pour jouer dans le sable et s’amuser à construire un château de sable. Je me suis levée pour la rejoindre. Ça lui a fait tellement plaisir!
Malgré moi, j’ai pu entendre la discussion des filles.

— Tu as vu les mecs qui jouent au beach-volley là-bas? Ils ont l’air mignons.
— Miam-miam. Il faut tenter une approche. Si on allait marcher un peu de leur côté pour les voir de plus près?
— Let’s go!

Elles se sont arrangé les cheveux, se sont mis du gloss sur les lèvres et se sont levées en adoptant la démarche chaloupée qu’ont les femmes quand elles veulent séduire. Curieuse, je les ai regardé faire. J’ai scruté la réaction des hommes sur leur passage. Certains ont tourné la tête, d’autres les ont sifflées sans gêne. Telles des prédatrices chassant leur proie, elles sont arrivées au niveau des sportifs. A mon agréable surprise, les hommes n’ont pas semblé leur prêter la moindre attention, concentrés qu’ils étaient sur leur partie et c’est bredouilles qu’elles sont revenues à leurs serviettes.

— Camille, j’aimerais bien aller faire un tour.

L’heure avait filé. Ma petite sœur commençait à s’ennuyer. Je l’ai accompagnée, tandis qu’elle courait sur le sable. Tout avait l’air normal. Nous avions l’air normales, pourtant mon coeur saignait en pensant à notre mère. Avait-elle aimé cette plage ? Je me souviens qu’elle l’avait mentionnée. Ma réflexion s’est arrêtée à la vue de mon professeur de français. En short et torse nu, il n’avait pas l’air si sévère.

Embarrassée, j’ai baissé les yeux et passé mon chemin, mais un ballon a atterri à mes pieds.

— Mlle Mussard, pourriez-vous me rendre mon ballon, s’il vous plaît?

Comme pendant les cours, j’ai été tétanisée par le regard de ces gens sur moi et j’ai gardé l’objet dans les mains. Mr Duchemann a dû me le reprendre lui-même.

— Camille, c’est ça?
— Oui.
— C’est votre petite sœur, n’est-ce pas?
— Oui, elle s’appelle Ophélie.
— Bonjour, a lancé celle-ci joyeusement.
— Elle est mignonne, vous vous ressemblez beaucoup.
— Merci. On doit filer, ai-je dit pour couper court.
— Bon week-end, les filles!
— Merci, a répondu Ophélie en le saluant de la main et le gratifiant de son beau sourire.

Je n’étais plus du tout d’humeur à traîner dans les parages et surtout, à 16h00, il était temps pour nous de prendre le car et de retourner au Tampon. Nous étions rouges comme des écrevisses et la peau nous brûlait. J’avais oublié de renouveler l’application de la crème solaire. Maman ne l’aurait pas oublié, elle. Pourvu que papa ne s’en rende pas compte!

                                                                                 5. Cours de soutien

La journée s’annonçait mal. Il pleuvait énormément dehors. Dans ma chambre, je pouvais entendre les plocs de la pluie sur le toit de l’immeuble. Collant mon nez à la baie vitrée, j’admirais le ciel sombre qui déversait son torrent de larmes sur la chaussée abîmée. La météo était en parfait accord avec mon humeur du jour: maussade.

J’ai chaussé des bottes en velours sombre et choisi une robe fluide beige pour son côté décalé et sa longueur suffisante qui couvrait les bleus que j’avais sur les cuisses. En me regardant dans le miroir, j’ai trouvé beaux mes cheveux ce matin: ils étaient lisses, longs et d’une couleur aussi dorée que les rayons du soleil quand celui-ci voulait bien se montrer.

Papa nous emmenait à l’école aujourd’hui, une première depuis notre arrivée! Il n’était pas encore prêt, nous l’attendions, affalées dans le canapé. J’ai balayé notre séjour du regard. Il était sobrement aménagé dans un style plutôt sympa, mais froid. Il donnait l’impression que personne n’y vivait vraiment. Les murs beiges accueillaient quelques tableaux, rien de très personnel cependant, juste des paysages. Aucune photo de famille. Des meubles teintés wengé, un canapé en cuir ivoire, une table à manger et une table de salon contemporaines, des chaises en microfibre taupe aspect daim, un tapis rouge. Je n’ai pas pu m’empêcher de laisser traîner mon écharpe sur le canapé. J’ai pris les coussins posés trop parfaitement sur le fauteuil et je les ai éparpillés ça et là, comme maman l’aurait fait si elle avait été encore là. Elle avait été l’âme de notre famille; son amour, chaque jour, avait illuminé nos vies. Depuis, tout était devenu fade et insipide; les choses avaient perdu de leur saveur.

— Il est l’heure d’y aller, a crié papa depuis l’entrée.

Nous avons couru jusqu’à la voiture pour éviter l’averse, comme si nous pouvions éviter d’être trempés. Papa a laissé échapper un juron et a claqué la portière. Le trajet a été bref, heureusement! En peu de temps, j’étais dans l’enceinte du lycée, me précipitant vers ma salle de cours.

— Désolée pour le retard, Mr Duchemman, ai-je prononcé, haletante et honteuse.

Le prof m’a jeté un de ces regards qui vous cloue sur place. C’était comme s’il lisait à l’intérieur de moi, fouillant les moindres recoins de ma pensée. En général, il n’avait pas besoin de hausser le ton pour se faire respecter, il nous regardait juste et son autorité s’installait.
C’était aujourd’hui qu’il devait nous rendre nos dissertations sur Pensées, je n’avais pas été emballée par le sujet.

— Mussard. Bon devoir mais hors sujet : 06/20, a-t-il dit en me tendant ma copie sans même me regarder.
— Quoi?
— Il faut peut-être étudier plus avant d’aller faire bronzette sur la plage.

Énervée, humiliée, dépitée, j’ai ravalé ma colère, j’ai baissé la tête et je me suis murée dans le silence. J’ai pianoté sur la table, tout en regardant mon devoir d’un mauvais œil. Si j’avais eu des super pouvoirs, je l’aurais brûlé rien qu’avec mes yeux! C’était la deuxième fois d’affilée que j’avais une note en dessous de la moyenne en français. Ce n’était jamais arrivé! J’ai de suite pensé à papa, car je connaissais trop bien sa réaction devant de mauvais résultats. Il détestait la médiocrité.


— Tous les élèves qui ont eu moins de 10 sont chaleureusement invités à assister au cours de rattrapage que j’ai mis en place entre midi et deux.
— Tu parles d’une invitation!
— Ces heures supplémentaires sont, bien entendu, données pour votre profit et ne sont en aucun cas obligatoires. Ce n’est pas non plus une punition. Cette année, vous passez votre bac et ce n’est pas à un mois des épreuves qu’il faudra rechercher mon aide. A vous de décider!

Nous étions cinq concernés : Julie, Christophe, moi-même et deux autres gars. Personne n’était vraiment enthousiaste, moi je n’avais pas le choix. C’était soit assister au soutien et améliorer mes notes, soit risquer une nouvelle rouste avec papa.

Après français, nous avions histoire-géo avec Mr Dufour. Ça m’a paru long et ennuyeux, le prof n’avait pas l’air passionné par son métier, quant à moi je n’y voyais aucun intérêt. Mes notes dans cette matière étaient par conséquent catastrophiques. Lorsque Mr Dufour s’est mis à dicter le cours, plutôt que d’écouter attentivement, Alice et Christophe ont commencé à flirter sans scrupule juste derrière moi.

— C’est écœurant! s’est exclamée Julie.
— Le prof ne voit rien. J’y crois pas!

Ce dernier a accéléré la cadence, personne ne pouvait plus le suivre. De toute façon, peu avaient réussi à le suivre jusqu’à là.

À midi, toujours le même rituel. Les mêmes élèves au réfectoire, toujours aussi affamés et bavards. La même table avec en prime le mec louche de la dernière fois. Je n’ai pas pu me retenir de l’envoyer balader, mais il s’est imposé en s’asseyant juste en face de moi.

— J’te dérange, a-t-il demandé.
— Oui, ai-je répondu en sortant de mon sac un livre que j’ai posé devant moi.
— T’es pas très sociable!
— Je ne t’ai pas demandé ton avis.

Concentre-toi sur ces lignes…

Les mots défilaient sous mes yeux : sujets, verbes, compléments… mais je ne comprenais rien de ce que je lisais, j’étais trop perturbée. L’envahisseur mastiquait tellement fort en me détaillant comme si j’étais un rat de laboratoire. Je me suis dépêchée de terminer mon plateau, sans prendre la peine d’apprécier les aliments. Une fois la dernière bouchée avalée, je me suis levée avec hâte pour fuir la présence de ce taré.

— J’te fais peur? a-t-il craché l’air satisfait.
— Pas du tout. J’ai fini de déjeuner, c’est tout, ai-je répondu en me levant prestement.
Non, mais pour qui se prenait-il?

J’ai grimpé les escaliers quatre à quatre pour ne pas être en retard et m’afficher une fois de plus. En entrant dans la salle de soutien, je n’y ai trouvé que Christophe. Alors, je me suis assise le plus loin possible du pseudo-obsédé.

— Camille! Viens-là ma belle, qu’on essaie de faire plus ample connaissance tous les deux. Tu sais, je crois que notre relation a commencé sur de mauvaises bases et qu’il faudrait y remédier. Tu m’as l’air de plus en plus intéressante, a-t-il déclaré en prenant ses affaires pour s’installer à côté de moi.
— C’est bien ce que je pensais: t’es complètement défoncé! T’as-vu tes yeux? Pourquoi t’es venu au juste? lui ai-je demandé, en tentant de détourner son attention de ma personne.
— Pour réviser, bien sûr. T’es venue pour autre chose, toi? Finalement, pour une métro, t’es plutôt mignonne! Mes parents sont de sortie ce soir, j’fais une teuf, tu devrais venir.
— Non merci.
— Tu peux même crécher si tu veux, a-t-il suggéré, en me caressant le bras, que j’ai retiré aussitôt.

Par chance, Mr Duchemman est arrivé. Enfin!

— Hé, bien! Il n’y a pas foule à ce que je vois. Prenez votre devoir. Mussard, comme je vous l’ai dit ce matin, vous avez fait une bonne dissertation qui, malheureusement, était hors sujet.
— Oui, je sais. C’que j’fais, n’est jamais assez bien! Je n’suis qu’une idiote de toute façon!
— Je n’ai jamais rien dit de tel. Mr Dijoux, lisez l’énoncé à haute voix s’il vous plaît et dîtes-moi ce que vous comprenez.
La langue pâteuse et lourde, Christophe a commencé à lire à la vitesse d’un escargot, tout en étant persuadé d’aller trop vite!
— Mr Dijoux, vous ne pensiez tout de même pas que je n’allais pas remarquer votre état de défonce?
— J’suis cassé, monsieur! C’est à cause du taf’ hier soir.
— Si j’vous revois encore dans MON cours, alors que vous avez consommé de la drogue, j’vous colle un rapport! Et vous pouvez remercier Mlle Mussard, car si je ne risquais pas de me retrouver seul avec elle dans cette salle, j’vous aurais viré de mon cours sur le champ. Est-ce bien compris?
— Oui, monsieur. Mais ça, c’est pas de la drogue, c’est un médicament naturel! Contre la migraine. J’en ai souvent, vous savez?
— Bien sûr! Tu crois apprendre à un vieux singe à faire la grimace? Je sais ce que c’est se défoncer. J’ai fumé le joint, moi aussi et pas qu’un peu. Crois-moi, à part oublier momentanément tes problèmes, ça ne t’apportera rien de bon, surtout pour ton cerveau et tes poumons.
— Monsieur, vous êtes dangereux!
— Si je me permets de te parler comme ça, Christophe, c’est parce que je sais que tu vaux mieux que ça! Tu as certainement un talent, un don dans un domaine, une passion pour quelque chose?
— Vous croyez ça, vous, Monsieur? J’sais pas, j’aime bien la musique, le graff aussi! Les gars aiment bien mes créations.
— Alors, pourquoi ne pas concentrer ton énergie là-dedans? J’te fais confiance?
— C’est bon, monsieur!
— Revenons à nos moutons. Mademoiselle Mussard, qu’est-ce que vous comprenez à l’intitulé du
sujet?
— Je ne sais pas, ai-je répondu timidement.
— Si vous voulez que je vous aide, il va falloir y mettre du vôtre, s’est agacé Mr Duchemann.

Panique à bord! Je sens que je vais faire naufrage.

J’ai senti dans ma gorge se former une boule qui grossissait, grossissait, grossissait, jusqu’à ce que je ne puisse plus la contenir. Je me suis mise à pleurer comme une madeleine, prise de panique et de honte aussi. Je ne supportais plus qu’on me crie dessus sans raison.

— Hé, qu’est-ce qui se passe? a-t-il demandé avec inquiétude en s’approchant de moi.
— C’est rien! ai-je bredouillé sur la défensive.
— Non, ce n’est pas rien, vous pleurez! Je n’ai rien dit de méchant. Allez, calmez-vous. Vous n’êtes pas nulle! Ce n’est qu’une mauvaise note, après tout. Ce n’est pas ça qui montre votre valeur. Regardez-moi Camille. VOUS êtes importante, sinon vous ne seriez pas sur terre. Ce n’est pas les notes qui font ce que vous êtes. J’vais vous aider à avoir votre bac, à faire de VOTRE mieux et c’est bien ça qui compte, que vous soyez allée au MAXIMUM de vos capacités, qui sont, j’en suis certain, bien au-delà de vos propres limites. Cela est valable pour vous aussi, Mr Dijoux. Reprenons maintenant.

Mr Duchemman s’est assis en face de nous, il nous a donné des explications claires et simples. Je n’en revenais pas, il était le seul prof que je connaissais qui, bien qu’il soit sévère, encourageait ses élèves. Il ne nous dénigrait pas comme certains de ces collègues. C’était quelqu’un de bien.

Eurêka! J’ai fini par comprendre ce qu’il attendait de nous.

— Ah, enfin un sourire! Vous voyez, ce n’était pas si difficile. Mr Dijoux, n’oubliez pas notre conversation. Je suis votre prof principal, mais j’ai été lycéen moi aussi. Si vous acceptez mon aide, je suis là.

Pour une fois, je n’étais pas pressée de quitter le cours. C’est en silence que j’ai ramassé mes affaires en emportant avec moi la gentillesse de mon professeur.

— Mademoiselle Mussard, vous avez de la valeur. Je le répéterai jusqu’à ce que vous y croyez.
— Merci. Bonne journée!

Quand je suis sortie de la salle, cette phrase de Saint-Exupéry m’est revenue à l’esprit: «On ne voit bien qu’avec le coeur, l’essentiel est invisible pour les yeux.» Mr Duchemman m’avait vue avec son coeur.

19H00

— Il n’y a plus rien à manger! Comment on va faire? Ophélie, je vais aller à pieds à la supérette du coin nous acheter quelque chose.
— Mais la nuit ne va pas tarder à tomber!
— Je ferai vite. Tu m’attends sagement à la maison, tu t’enfermes à clé et si papa revient, dis-lui que je suis allée faire des courses. C’est compris?
— Oui mais j’ai peur, a-t-elle pleurniché.
— Je vais faire vite, c’est promis.

Heureusement que le quartier est calme le soir. Je me suis dépêchée d’aller acheter du pain, du jambon, du fromage et des barres de céréales pour le petit déjeuner. Cela m’a tout de même pris quarante minutes pour faire l’aller-retour.

A la maison, j’ai préparé les sandwichs et nous avons mangé dans la précipitation avant que papa ne rentre. Comme chaque soir depuis trois mois maintenant, je me suis ensuite assurée que ma sœur dorme avant le retour de notre père. Je ne voulais pas qu’elle voit qu’il avait encore bu, beaucoup trop bu même, pour oublier et noyer son chagrin.

Le bruit de ses chaussures sur le parquet a résonné dans la pièce. Il a heurté l’enfilade dans le séjour et le vase qui était posé dessus, est tombé, se brisant en mille morceaux. Il a prononcé plusieurs jurons.

— Papa…

Ne voulant pas de mon aide, il m’a repoussée et je suis tombée au sol. J’ai commencé à nettoyer les éclats de verre, soucieuse du danger. La bouteille à la main, papa s’est allongé comme d’habitude sur le canapé. Il a porté le goulot à ses lèvres mais trop saoul, il a renversé de l’alcool sur lui-même. Énervé, il a failli glisser en se relevant. Je me suis proposée de l’aider, mais une nouvelle fois, il m’a poussée hors de son chemin.

— J’ai soif! Où est le rhum?
— J’ai tout jeté, ai-je dit fièrement.
— Quoi?

Il s’est rué sur la poubelle et a constaté les bouteilles vides ; il les as prises une à une et les as lancées vers moi.

— J’en ai besoin. Vas m’en acheter!
— Papa tout est fermé à cette heure-ci. Et puis, t’as déjà trop bu!

Trop hébété pour comprendre ce que je lui disais, il a crié de plus belle en s’avançant vers moi, l’air menaçant. Il a attrapé mon poignet et m’a tirée jusqu’à la cuisine.

— Tu vois toutes ces bouteilles? J’en avais besoin et toi, qu’est-ce que t’as fait? Tu n’es qu’une idiote !
— Ce n’est pas bon pour toi de boire autant, papa.
— Oui, je suis ton père et tu dois m’obéir. Enfant stupide, va!

Agacé, il m’a jetée contre l’évier, je me suis cognée la tête contre le meuble, puis par chance, il est retourné au salon, n’en pouvant plus de chercher de l’alcool.

Après une demi-heure d’angoisse, seule assise à même le sol de la cuisine, j’ai entendu ses ronflements. Soudain, j’ai commencé à avoir des sueurs froides, puis j’ai vomi le peu que j’avais pu manger. Machinalement, je me suis relevée et j’ai tout nettoyé, Ophélie ne devait rien savoir. C’est pour elle que je tenais! Tant de fois la drogue m’avait appelée, tant de fois la fugue m’avait invitée, tant de fois le suicide m’avait tentée. J’étais prise au piège dans la prison de ma vie. Ce soir, les morceaux de verre auraient pu faire l’affaire pour mettre fin à toute cette douleur qui me tourmentait, mais que deviendrait Ophélie? Je ne pouvais pas la laisser seule avec papa, elle subirait le même sort que moi. Je ne peux pas. Je n’ai pas le choix. Rester et résister.

Ressentant le besoin de noyer ma peine, non pas dans l’alcool mais sur le papier, j’ai griffonné mon journal. A mesure que j’écrivais, la douleur s’extirpait de mon âme, chaque mot libéré m’enivrait.

Je n’en peux plus, j’étouffe.
Ce gouffre qu’est ma vie
M’engloutit et je souffre.
La peur me brutalise
Les mots me martyrisent
Le silence me terrorise.
L’élixir dévore ses veines
Inhibe ses peines, excite sa haine.
Il l’entraîne plus loin et l’enchaîne.

3 réflexions sur “Les chapitres 3,4,5…

  1. alstamatiou06 dit :

    Une très belle histoire dans la quelle on se laisse emporter. J ai lu jusque au troisième chapitre pour le moment mais je trouve l histoire bien envoûtante. On comprend les difficultés de déménagement pour Camille et sa soeur. Le père absent que Camille aimerait le voir plus souvent et passer plus de temps avec lui. Les camarades de classe qui collent très vite une étiquette aux autres. Bref un roman qui sait décrire avec justesse ce que peu ressentir une fille de cet age la dans la situation difficile qu’elle vit dans notre époque. J aime beaucoup le passage avec le croisement de regard entre Camille et le prof dans la cafétéria. Une belle histoire d amour a l horizon…..ou pas enfin j espère pour elle. Sur ceux bonne soirée et bravo

    • Marie.G dit :

      Merci beaucoup pour les commentaires et remarques. C’est gentil d’avoir pris le temps de me lire, n’hésite pas à me donner d’autres retours!
      Eh oui une histoire d’amour à l’horizon, bien vu!
      Bises
      Marie

      • alstamatiou06 dit :

        Cou cou pas de quoi. Je viens de lire le 4ème chapitre et je crois que plus ça va plus je « tombe amoureux » de Camille 🙂 lol, je m’attache a son personnage fragile et fascinant et séduisant a la fois. Bref je suis content pour l histoire d amour qui se profile entre ses deux la car elle mérite un bon gars cette demoiselle. Vu les circonstances je pense qu’il sera en meme temps son amoureux et son père. Elle le verra comme son père et il sera la pour la guider et la rassurer. Quand au père de Camille je pense que avant tout il vit très mal la mort de son épouse( la scène ou elles le retrouvent saoul laisse présager ça néanmoins) et avec la charge et les responsabilité du boulot a un peu de mal a assurer son rôle de père.
        Bises et encore bravo.
        Alexandros

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